mercredi 19 décembre 2012

Monaco Dance Forum:grand écart entre "Juana" et "Poulet bicyclette"

La programmation du dernier Monaco Dance Forum est éclectique et plurielle, ouverte à de multiples langages de la danse d'aujourd'hui: Zimmerman et Depero, Pina Bausch pour les "grosses pointures" et pour les plus petits pas ou formats, deux spectacles à découvrir pour la diversité de leur esthétique et de leur message.
"Juana" de Eric Oberdorff et Analia Llugdar s'inscrit dans ces compositions chorégraphiques conceretantes, telle une musique et danse "de chambre"
Intime et déclicate cette pièce fait appel à une composition musicale exécutée en direct, remarquable.
Sur scène une chanteuse, belle soprano au timbre velouté,Donatienne Michel Danzac, une violoncelliste, Myrtille Hetzel et une clarinettiste, Annelise Clément.
Formation intimiste qui prend largement son espace sonore et scénique durant la pièce. La musique est de Annalia Llugdar et rappelle les compositions de Georges Aperghis.Textes, jeux de sons , de timbres et sonorités inédites dictent à la danse des soubresauts, des alignements très tectoniques, forts en ponctuation, en souffle.Quatre danseuses y évoluent en symbiose et confèrent aux mouvements sobre et larges, des accents de poésie lointaine, de nostalgie d'une atmosphère d'antan.
On pourrait s'y inventer une narration à partir des corps qui évoluent au gré de la présence sonore, inventive et séduisante.Les deux artistes, complices pour ce projet inédit de création musique et danse font sourdre et jaillir gestes et sons avec une synergie très convaincante.Inspirée d'un texte de Borges, cette pièce est juste et touchante, comme ce "miroir" évoqué fait d'images qui passent et qui demeurent."Et l'art, notre seule manière de retenir le temps"

"Poulet bicyclette" est d'un tout autre registre: danse africaine tout azimut pour un propos festif et ludique signé Georges Momboye.
De la verve, du punche, de la dynamique et de la dinamite pour ce spectacle tout public programmé en "matinée" pour petits et grands. C'est dire si cela fait mouche. Histoire de poulet à bicyclette, c'est à dire à la vélocité incroyable, épopée drôlatique d'une petite tribu joyeuse, voilà le propos, simple et accessible.
Le volatile est symbole de liberté, pas de captivité en Afrique. Momboye nous livre ses souvenirs de jeunesse et évoque les élucubrations de cinq danseurs aux prises avec ce poulet magique qui ne cesse de divertir et tendre des pièges à cette communauté tonitruante.
Le rythme est endiablé, la danse très inspirée des rituels africains et ça bouge, ça balance en cadence pour le meilleur d'une rythmique contagieuse. C'est jouissif et la scénographie, sobre est composée d'une grande cage, sorte de piège de lumière bienveillant et efficace .
Le bonheur est sur le plateau et l'on quitte les artistes, rassasié de joie et de bonnes respirations, de bonne humeur
Bon pied, bon œil, que du positif dans cette Afrique chatoyante qui résonne de belles intentions.

Décidément le Monaco Dance Forum fait la part belle à la danse d'aujourd'hui sur toutes ces facettes
Encore un petit tour du côté du cinéma avec le film récent "Pina" de Wim Wenders et le tour est joué.De la "mémoire" à la création, la boucle est bouclée et la sensation que la danse est un art pluriel autant qu'unique se fait concrète et convaincante.
Jean Christophe Maillot est bien un monsieur Loyal, orchestrant compagnie, école et festival avec brio et pugnacité.
DE wIM wENDERS

aco aàydb

mardi 18 décembre 2012

"Le laveur de vitres" de Pina Bausch illumine le Monaco Dance Forum

Cette pièce emblématique, une des plus fameuses de la chorégraphe Pina Bausch datée de 1997 a été présentée ce week-end au Monaco Dance Forum. La fureur et la poésie qui en émanent sont de toute beauté et le regard se perd devant tant de propositions dansées qui fusent et diffusent comme un parfum de vie intense et fulgurant.
Les interprètes que l'on retrouve toujours avec bonheur, fidèles à l'esprit de celle qui a forgé pour eux tant de rôles, trouvé en eux tant de potentiel inouï, sont entiers et galvanisé par la grâce.
Tout démarre par la vision dantesque d'un dôme de pétales de roses rouges évoquant Hong Kong tiraillé entre modernité et tradition.Cette montagne accouche de mystères, d'une danseuse égarée, longtemps dissimulée dans cette antre énigmatique. Dôme qui joue sur sa présence magique et enrôle plus d'un personnage qui tente de le gravir, de le détruire ou de l'effeuiller.Toute l'humaine condition s'y retrouve et gravite autour de ce totem symbole de l'absurde.
On s'y plait à y sourire de plaisir, à trembler en empathie intime avec les acteurs-danseurs virtuoses de leur propre langage façonné de main de maître par Pina.
Le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch restitue l'esprit et l'âme de la chorégraphe avec fougue et passion, respect et dignité.L'impact visuel de la scénographie est trois heures durant fascinant, envoutant et la danse, hypnotique.
On y retrouve "les robes de Pina" portées par ses fidèles femmes danseuses, femmes qui dansent de toute leur peau, de toute leur robe. Car ce n'est pas de l'apparat ni de la frivolité, ces robes de bal, de baptême, de soirée.Ce sont ces "secondes peaux" qui magnifient leur corps, dénudent leur sensualité et ravissent les cœurs des hommes qui s'y frottent.
Quand le laveur de vitre apparait dans ce vaste champ de bataille et d'actions multiples, c'est pour mieux rappeler le labeur quotidien, la vie de tous les jours qui sillonne le spectacle de début à la fin.
C'est parfois très drôle aussi quand un des danseurs interroge le premier rang des spectateurs
et lui propose de réaliser ses souhaits; recevoir un café, du chocolat, du champagne. Tel un magicien banalisé, il exhausse les rêves et fait naitre la magie de l'instant partagé.
Accueillir cette troupe, c'est recevoir une compagnie radieuse, vivante, animée par la grâce autant que par le souvenir de celle qui les fait vibrer devant nous. En résonance, on ne peut résister à fondre en communion avec ce petit monde animé des meilleures intentions du "monde"!

Avant chaque spectacle dans le "puits de lumière " du Grimaldi forum, deux belles prestations animaient ce lieu ouvert au public avant l'heure.
Ces "inattendus" désormais très attendus et prisés proposaient "Contigo" de la compagnie portugaise de cirque O Ultimo Momento. Un moment à haut risque puisque l'interprète Joao Paulo Dos Santos, spécialiste du mât chinois y exécute des figures à vous couper le souffle tant la virtuosité, le suspens y sont de rigueur.Très bien adaptée au lieu, en plongée ou contre plongée, la visibilité de ce cette performance y gagnait en espace, en tension et intensité. Seul avec sa chaise, son mât, l'artiste déroute, fascine, envoute et sooulève la peur et l'émotion.

La seconde prestation "Variations pour les colonnes" fut celle de Gaetan Morlotti, artiste du Ballet de Monte Carlo, de l'ensemble "Small Bang" en compagnie d'un comédien et d'un contrebassiste. Une interrogation ludique sur la proximité de l'artiste dans et devant le public, en interaction et interactivité.En sympathie.aussi car sa marque de fabrique, ces "actes" ou "actions" est synonyme de conversation concertante et enjouée. Du bel ouvrage dense et risqué où l'artiste s'expose à son corps défendant.

Les Ballets de Monte Carlo: l' " Atelier" du bonheur

Le métier de danseur est roi au Ballet de Monte Carlo, dirigé par Jean Christophe Maillot depuis 19 ans à présent. Sur la colline, un peu retiré de effervescence urbaine, l ' "Atelier" est le lieu de travail de la compagnie et des corps de métier qui se rattachent à l'exercice et à la vie d'une compagnie.Alors qu 'une partie des danseurs prennent le cours du matin, tous niveaux confondus, les couturières s'affairent à l'étage de ce magnifique loft réhabilité, à la confection des costumes de la prochaine création "Lac": costumes de Guillotel.
Les décors, eux, ceux de Ernest Pignon Ernest seront fabriqués ailleurs dans des ateliers lyonnais.
L'heure du déjeuner, échelonné selon les besoins du personnel permanent et des danseurs est flexible, souple comme le déroulement d'une journée. Le cuisinier confectionne et mitone des petits plats inventifs et légers, servis en self et dégustés dans une cafétéria de rêve, décor indien, ambiance feutrée.
L'atelier du bonheur? Oui si l'on compare cette structure aux centres chorégraphiques français, si souvent semblables à des lieux délaissés ou négligés, ne prenant pas en compte le respect de la vie du danseur. Un métier avant tout à exercer avec la connaissance des besoins de chacun.
L'architecture du lieu est puissante avec puits de lumière, nef, espace dédié aussi à l'histoire du ballet: on y trouve photos, costumes, maquettes de décor et toutes sortes de signes de vie, de "cygnes" des temps, d'"étangs" qui attestent d'une forte présence et des artistes et du directeur-chorégraphe.
La fusion avec l'école de danse "Académie Princesse Grace", le festival "Monaco Dance Forum" et la compagnie de ballet opère un métissage des pratiques, une prolongation intelligente d'une discipline à l'autre.
Cette mutualisation opère et séduit , fonctionne pour le meilleur et cette visite en préambule au festival lui-même ancre dans un contexte vivant l'art chorégraphique dans son entier.