jeudi 26 janvier 2012

"Nuda Vita": la danse de la cruauté selon Caterina et Carlotta Sagna

La vie toute nue, toute crue, celle qui "pue" autant que celle qui sent bon la complicité, l'amitié, la solidarité!La voici, la danse parlée, théâtralisée comme jamais on ne nous l'a montrée.
Les voici, les deux "sœurs" Sagna, en résidence "groupée" à Strasbourg, à Pôle Sud pour deux saisons. Un bonheur avoué tant déjà par la présentation de ce spectacle, leur intuition chorégraphique sent "bon" l'inédit, le travail sur la danse et la dramaturgie, le lien avec le tissus culturel maillé depuis longtemps par le réseau "danse" , très dense de Strasbourg. Un programme animé des meilleures intentions pour cette résidence "carte blanche" confiée à la toute nouvelle compagnie "caterina et carlotta Sagna": bicéphale binôme, tandem incontournable désormais d'une danse fléchie et réfléchie, miroir d'un projet commun considérant l'humain comme toute source de création.Ils sont quatre, et le resteront, sans quitter le plateau, une heure durant. Trois femmes, un homme, bien identifiés, revêtus de costumes chatoyants, veste rose, manteau vert, pantalon multicolore et fleuri. Déjà toute une histoire de tapisserie de la vie est contée au travers de ces accoutrements singulièrement joyeux et hors du commun. Un faisceau en carré de lumière sera leur première ère de jeu, pour mieux s'éclater en autant de particules d'espaces par la suite. Une femme à terre se roule, s'enroule, se déploie et par petits fragments successifs, dessine sa mouvance au sol. Les trois autres intrigués vont se réunir et se lancer dans des fous rires compulsifs et régénérateurs. Contagion des spasmes des corps, des voix éructant du beau son!Quatre membres d'une même famille? Peut-être, sans doute si l'on veut bien "entendre" les clins d'œil à une fratrie possible, jetés dans de petites phrases, dans des mots ou injonctions adéquats.Cette petite population, unie autant que désunie va bon train et une intrigue flotte dans l'air, suspend ses interrogations et rebondit à chaque instant. La danse gagne les corps, des jeux de bras et de mains désopilants agrémentent de leur piment visuel et humoristique, ce tableau de famille pour le moins déroutant. L'entente, le désaccord s'y mêlent, la complicité règne cependant sans fard dans ce quatuor à quatre corps à huis-clos pour le meilleur et pour le pire. Cela transpire le bonheur, "pue" parfois la méfiance, la disgrâce: "Avorton", "barges": de ces fiers qualificatifs, notre seul homme se laisse traiter sans crier gare, mais en esquivant les injures. Alessandro Bernardeschi tire son épingle du jeu brillamment, Tijen Lawton est une sirène volubile et gracile idéale, quant aux sœurs Sagna, elles rayonnent de leur singularité: intégrité,souriant détachement espiègle, malice et vire-volte devant la vie et ses petites catastrophes quotidiennes.
On attend avec impatience "la suite" des faits et méfaits des deux créatrices sur le territoire alsacien!
Comme une suite sous forme d'enquête policière, à la quête des bons mots, des bonnes adresses et ressources qu'elles sauront faire surgir de chacun d'entre nous, acteurs ou spectateurs avisés de cette résidence. On ne va surement pas s'y "croiser  les bras!

samedi 14 janvier 2012

"Déambulation hivernale" de Renate Pook: (s)ombres et lumières


"Déambulation hivernale" à Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg

Une méditation dansée...


"Déambulation hivernale" à Saint-Pierre-le-Jeune
"Va à la rencontre du Wanderer...
Va à la rencontre du marcheur solitaire au cœur de l'hiver...
Passe outre l'immense respect pour un génie créateur comme Franz Schubert
qui, au sommet de son art du Lied,
l'année de sa mort,
compose,
sur les poèmes de Willhelm Müller, son contemporain,
Die Winterreise".

Renate POOK

L'église est prête, sa nef accueillante, ses chapelles ouvertes au dialogue, sa crypte offerte au regard: c'est soir de spectacle à ST Pierre le Jeune. Mais que l'on ne s'y trompe pas, c'est à une ballade chorégraphique, une "visite sensible" que nous allons participer, un petit groupe d'"élus", réunis pour une rencontre, avec un lieu, avec des artistes, avec une femme, danseuse de son état de corps: Renate Pook.Le ton est donné en prologue par notre prêcheur, guide, berger, Bruneau qui pose les règles du jeu. Suivre Renate, des yeux , se laisser mener par son corps, initiateur du chemin.On démarre donc ces pérégrinations par la découverte du statuaire, ce "petit moine" au pied de la chaire. Renate apparait, tout près de la porte, frappe les trois coups. Pas de réponse à sa curiosité: il n'y a personne derrière ce pan de vie mystique. Alors démarre la musique, enchaine la danse. Une petite danse tétanique, aux gestes vifs argent et précis, ciselés, animés d'une vivacité fébrile, comme des électrons libres, tantôt maitrisés, tantôt libérés. Se propageant dans l'espace. Se répandant au sol, aussi, pour évoquer, recroquevillés, la naissance des froidures d'hiver. Elle est vêtue sobrement d'un long gilet de laine tricoté, beige, gris, dont les plis se déploient lors des tourbillons de son corps, comme un éventail à la japonaise, un drapé-plissé à la Myaké,  ou à des origamis...Sa silhouette fine, gracile évolue dans les espaces de l'église La petite troupe la suit, précédée du récitant qui fait étape avec nous sur le bord du chemin, comme une pause, une ponctuation en dialogue avec la douceur ou la fulgurance du mouvement.Renate se pose, gravit l'escalier qui mène au déambulatoire du jubé, se laisse glisser, nous entraine dans la découverte du lieu, par le regard, par l'espace qu'elle y invente à elle seule. Expression angélique parfois, ingénue et tendre d"une jeune fille aux aguets. Terreur ou inquiétude très expressive aussi quand la gravité du chant et de la musique lui inspire respect, recueillement,dévotion. Elle se glisse avec malice dans les travées des stalles, les longues et interminables rangées de bancs, comme dans un labyrinthe, y suit sa fantaisie, change ses orientations à l'envi, Son humeur vagabonde lui dictent les changements, virevoltes et autres revirements.. Elle est inattendue et agace son monde quand, têtue elle cherche à franchir quelques obstacles dressés sur son chemin. Elle se faufile dans la petite foule qui se resserre parfois sur elle, comme un cocon ou une entrave.Les portes, les ouvertures possibles l'intriguent et elle va s'y confondre ou s'y confronter avec tentation, audace et parfois déception.L'architecture du lieu lui offre mille et une portes et sorties, un banc d'orgue pour rêver, une estrade, un escalier, tout est prétexte choisi pour atteindre in fine la dernière chapelle "ardente", puis la scène finale, le chœur où tout s'achève dans le mystère d'une fin consommée. Un chanteur, une accordéoniste vont se joindre à elle au cours de cette chanson de gestes, parcours futé et énigmatique de cette demeure de Dieu et des Anges. On y découvrira des clefs de voute sculptées en fleurs, des chapiteaux aux multiples têtes, des fresques qu'elle effleure au risque de les effacer.... De l'audace, du respect mêlés pour cette visite incongrue, longuement réfléchie et vécue par la danseuse, un mois durant, dans le froid, dans le silence, dans les vibrations du lieu qu'elle nous fait ressentir comme autant de pistes d'un vécu spatial singulier.Le silence revient, fin de partie, la musique, la voix se taisent, tout rentre dans l'ordre: la jeune fille , la femme à longue tresse comme une seconde colonne vertébrale disparait, suspend sa danse, éteint sa mouvance, coupe l'énergie. Plus de martèlement de sol avec les pieds, disparue la danse fendue en tierce, tranchée dans le vif de l'espace. Finies les glissades, les tours de derviches légèrement inclinés vers l'intérieur, les positions de pieds ancrés au sol, le corps qui s'allonge et se tait, au repos.Tout rentre dans l'ordre et les ombres, les lumières raviveront ce souvenir intemporel suspendu à nos mémoires: l'éphémère, le fugitif ne laisseront pas de traces hormis  dans nos cœurs..
Des instants de grâce servis par une interprète, auteur de sa danse qui semble au zénith de sa forme, énergique, solide, forte comme une conviction de vie, de surprise et de rigueur fantaisiste. Gravité, tendresse et jubilation au menu pour cette dégustation chorégraphique sans modération.Effusion, calme, fulgurance, attente, suspension, hésitations, inclinaisons tentations: toute vie y serait résumée. La solitude aussi.La mort, la disparition s'y font présentes, discrètes.
Un voyage d'hiver fondateur.


"Winterreise / Voyage d'hiver"
Musique de Franz Schubert
sur des poèmes de Willhelm Müller,
Enregistrement de 1966,
Dietrich Fischer-Dieskau, baryton
Jörg Demus, piano.

Bruneau Joussellin, récitant.

Une chorégraphie conçue et dansée par Renate POOK.

"Déambulation hivernale" à Saint-Pierre-le-Jeune
 

Avec "Intérieur nuit" de Jean Baptiste André,tout bouscule, tout bascule....

‘intérieur nuit_’ explore les limites physiques du corps, questionne l’équilibre précaire et intime de chacun. Cette pièce est une expérience intérieure, un moment d’intimité et de proximité à partager, et tout à la fois ludique et coloré. La performance scénique plonge le spectateur dans des états de rêverie, provoque des éclats de rire et bouscule les repères sensoriels. Chacun revisite ainsi sa perception du temps et de l’espace, à travers notamment l’utilisation de la vidéo.Jean Baptiste André-danseur circassien- évolue dans un huit-clos à sa guise. Le décor est planté:deux murs, c'est tout pour créer l'illusion de multiples espaces, d'univers différents, de planètes inconnues où le corps de l'artiste va se frotter à de multiples expériences. De gravité, de suspensions, de diversion. Son jeu, sa vie, ses envies: défier les lois de la pesanteur sans qu'on le remarque. Dévier, détourner, confondre et user de son univers: autant de clefs pour ouvrir autant de portes et d'issues à son éternel questionnement sur la place du corps dans l'espace.La vidéo va lui tendre une bonne perche! En enregistrement direct, il s'en sert pour projeter en surdimension sur le mur, sa propre image, inversée. S'en suit un effet de vertige et de comique irrésistible: comme une mouche au plafond, le voilà qui grimpe les murs, dégringole et franchit les limites du possible, alors que simplement il exécute ses figures dans un autre plan, à une autre échelle. L'effet d'illusion et de diversion est sain et sauf!!!En surgit un comique singulier où les repères sont bousculés, où tout bascule à l'envi dans l'équilibre/ déséquilibre. Tel un funambule, équilibriste malin et mutin. Sa "gueule" d'ange, son joli minois font le reste pour que nous soyons volontairement dupes de toutes ces supercheries en cascades. In fine, ce seront pieds et mains filmés en proximité, en direct qui créeront un "petit bal perdu" où les formes s'animent en autant de petites sculptures vivantes, transformables, modulables à souhait.Des marionnette toutes trouvées au plus près de lui: son corps qui parle,chante et se transforme pour créer un petit univers magique, incongru, séduisant, parfois inquiétant. Son geste, sa mouvance acrobatique, souple, voluptueuse en font un singulier personnage, solitaire, touchant, émouvant."Intérieur nuit" est une pièce où l'obsession du bien fait, est d'emblée posée, dès le départ quand au lever de rideau cet homme ingénu s'obstine à plier des vêtements, les empiler, les aligner, les ranger pour mieux par la suite y semer le désordre. Ses oripeaux de palefrenier, il les enfilera sans cesse, à l'envers, à l'endroit pour s'y mouvoir dans un délire total, comme un épouvantail désemparé, ou une sculpture vivante à la Daniel Firman....Vagabond de nos âmes et humeurs, Jean Baptiste André court après ses ombres dans la lumière, se démultiplie, se perd, s'égare, se rit de son image, chiffonnier,orpailleur, créateur du beau, du juste à point.
En résidence, invité par Les Migrateurs et Le Maillon à Strasbourg, il trimbale sa bonne étoile sur la piste et tisse sa toile sur le fil du funambule avec simplicité et efficacité. On lui souhaite de rebondir à partir de ce canevas généreux à resserrer quelque peu pour que les mailles du filet soient plus efficaces pour une bonne pêche vraiment miraculeuse!!!!

vendredi 13 janvier 2012

"Gina" ou le Casimodo de la danse

 

"Gina" est un one-woman-show raconté avec le corps. Gina joue la diva et rêve d'une vie extraordinaire, tantôt pathétique, tantôt sublime. Impudique et souveraine, sa gestuelle gêne, provoque et déborde littéralement de toutes parts de manière parfois brutale ou absurde. Puis elle danse gracieusement et tout aussitôt se cabre contre les règles de la danse. Elle parle avec son corps, se perd dans ses songes et interpelle le monde en toutes ses langues. La scène devient alors comme sa chambre, un lieu intime où Gina est face à elle-même, avec ses peurs et ses illusions.Gina -Eugénie Rebetez a pour maitre "Zouc", la célèbre comique suisse et les filiations sont claires, évidentes mais jamais plagiaires. Elle se joue de ses formes rondes, comme une danseuse qui fait de sa chair abondante, une matière chorégraphique à part entière.Sculpté par la lumière, son corps avoue toute chose avec pudeur et malice. L'empathie gagne au cours du spectacle avec ce personnage touchant, émouvant, pathétique et affligeant à quelque endroit de son jeu. Elle se rend sympathique en osant le dérisoire, les actes hyper simples, des déplacements et détournements d'objets à la frontière du ridicule, de l'inachevé.Son propos est clair: comme il y a eu des "danseurs grassouillets",  Olivier Dubois, Thomas Lebrun, elle s'expose  franchement et attend notre réaction. Sa technique de "danseuse classique" est impeccable et peut encore surprendre celui ou celle qui penserait que seuls les canons de la beauté font la danseuse....On songe parfois au solo de Vanessa Van Dume, "Regarde Maman, je danse", cette transsexuelle gantoise, chérie d'Alain Platel qui se raconte et livre son corps métamorphosé aux regards du public. A Philippe Menard, aussi et son "P.P.P." figure de la métamorphose de l'homme en femme, au comble de la diversion, de la transfiguration du corps.
Son visage a la candeur de sa générosité à dévoiler ses manques, ses absences d'assurance, ses inquiétudes. Gina est bien seule, même avec nous tous, témoins de son désarroi, de sa vie pleine d'encombrements, d'objets, d'obstacles pour hanter ses moindres désirs, ses moindres actes et déplacements. Ce n'est pas son corps qui est entrave, handicap, c'est  bien le regard des autres sur lui dont elle pose aujourd'hui le questionnement....